Cœurs Vaillants 1941

Sur Io route de Riouvols, veloutée d'une épaisse couche de neioe, Obiou, le cheval pommelé de Io ferme des Borricoules, tire allè– grement un traineau. Assis sur Io banquette couverte de peaux de marmottes, à côté de Louisou, le fils du Moire, _uc et Robert Devon bavardent gaiement. C'est Noël et pour quelques jours, ils arri– •ent en vacances dons le petit village qu'habite '~ur grcind'mè re. - Quelle joie ! dit Louisou, en tirant sur les brides de s.on cheval. - Quoi de neuf ou pays, depuis le mois de septembre? - Oh ! rien de sensationnel, vous sove:z:. De Io pluie, du soleil, de Io neige, je crois que là se résument les faits divers de Io chronique locole. A port Io mort du Père Buzard, je ne vois pas... - Le Père Buzord est mort? firent ensem– ble les deux garçons, tondis qu'une ombre de tristesse embrumait leur visage. - Oui, c'était pendant les grands froids, Re naudin, l'épicier, l'a tro uvé étendu sans con– naissance dons Io neiqe. Ramené chez lui, il est mort quelques heures plus tord après Io venue de Monsieur le Curé. Le Père Buzorr.l était pour Luc et Robert un très vieil ami. Ils aimaient so personnalité un· peu étrange et énigmatique, sa bicoque à Io fois laide et originale, creusée à même un vieux château en ruines, avec ses pièces en rotonde, aux murs desquelles une foule d'oiseaux empaillés semblait foire Io nique ou curieux qui hasardait un coup d'œil dons ce t antre délabré. Le sachant seul dons Io vie, ils s'étaient ingéniés à lui rendre des petits ser– vices. Et le sorcier d e Io montagne, · commz ')n l'appelait ou village, s'était attaché à ces deux gosses qui mettaient un peu de soleil dans ses vieux jours .solitaires. - Eh bien quai ! vous rêvez ? dit tout à coup Louisau oux deux garçons qui sursautèrent, tant ils étaient plongés dans leurs souvenirs. - Nous pensions à ce pauvre homme, dit Luc. - Ce n'est pas une raison pour faire de telles figures d'enterrement. - Tiens, ou fait, qui hérite de Io maison? . Louisou éclata de rire. - Ah ! ça, je n'en sois rien, vous, peut-ê f're. Hériter de Io maison du Père Buzord, vous en avez de bonnes, elle est tout juste utile à servir de repaire aux chouettes qui s'en sont déjà emparées et lorsque le soir tombe, les g ens du pays disent qu'on peut les entendre hululet" dons les parages du Brommafont. D'autres pré– tendent même... - Quai donc? - Oh ! rien, des bobards... Et les enfants eurent beau presser leur con– ducteur de questions, il ne voulut pas en dire plus. Le lendemain soir, une course ramenait Luc et Robert ou village, chez l'épicier Renaudin, qui leur fournit des explications supplémentaires LE CANARD A LA. PAGE CJ{IN~~· FAIT DU GENRE COIJRO~, CH[RCllER DES RLLVMETT<.5 POVll l PftTER LE!!o A I~. 1~- sur Io mort du Père Buzord ; mois il se mon– tra quelque peu réticent et déconseilla aux enfants de se rendre à Je demeure du sorcier. - Je n'y comprends rien, dit Robert à Luc sur le chemin du retour, dès que l'on parle de BrQmmafont, les gens d'ici vous font de ces yeux apeurés... - Je crois qu'il y a là-dessous quelque mys– tère, nous irons demain à Brommafont. - Entendu, d'ailleurs nous y serions déjà allés aujourd'hui si nous n'étions pas descendus ou village. - Tiens, dit oi:rès un moment de silence Luc, qui regardait un point noir sur Io route, on dirait que c'est Louisou, mais oui, c'est lui... - Bonjour, Louisou, viens-tu demain avec nous à Brornmafont ? - A Brornmofont ! mois vous êtes fous... - Ecoute, Louisou, qu'est-ce que tout ce mystère ? Il fout absolument que tu nous dises ce qui se passe: - Comme je vous J'ai dit, ce sont des bobards,- il paraitrait que les jours de lune, une silhouette blanche se promène sur les ruines de Brommofont. Il fout reconnaitre qu'à Io nuit, te coin n'est pas très sympathique et bien fait pour halluciner les gens d'ici, qui voient des fantômes partout. Naturellement je ne crois rien de tout ça. - Alors, pourquoi nous traites-tu de tous quand nous te faisons port de notre projet d'y aller foire un tour ? - Ecoutez:, si je suis sûr qu'il n'y o aucur revenant, je suis sûr aussi qu'il se passe quelque chose là-haut, quoi, je n'en sois rien, c'est J?OUrQUOi je vous déconseille d'y aller. - Mois au contraire, c'est palpitant, un drame mystérieux à Brommofont, voilà qui me plait, dit Luc, qui rêve de çirondes découvertes, et tu sais, Louisou, ce n'est plus demain que nous grimpons au château, mois cette nuit même. Si nous voulons surprendre les gens qui niettent en émoi tout le pays, ce n'est pos ou grand soleil que nous pourrons les guetter, mois Io nuit. C'est un mystère à éclaircir, es-lu des nôtres? Louisou était dur à convaincre, i~ fallut plus d'un quart d'heure de plaidoyer enthousiaste pour le d écider à accepter Io prooasition. - Eh bien, c'est convenu, à ce · soir, 9 heu– res, à l'entrée du petit bois, compris ? - Compris, fit Louisou en écho, qui, enfon– çant wr sa chevelure courte son petit béret montagnard, disparut Qu détour du chemin. • Un forge croissant de clar·té bleutée toute lp sous Io neige. lune baigne de sa compagne enoormie Deux ombres se faufilent d'une petite maison bosse e t route ou tapis mot. par Io courent fenêtre sur Io Neuf heures sonnent à l'horloge du village quand ces ombres atteignent l'orée du petit bois où, fidèle QU rendez-vous, Louisou fait les cent pas. l es trois garçons s'e ngagent sous le couvert des arbres. Ils arrivent bientôt en vue de Brammofont, qui dresse ses ruines comme un vieux château de rêve dons un rayon de lune. Rien de su~pect jusqu'à présent. Le cœur bottant, les trois garçons pénètrent dnns la dem.eure du sorcier, ou Luc et Robert reconnaissent avec émotion, à Io lueur de leur lampe de poche, les jolis oiseaux empaillés ; rien- n'y est changé, seul, manque, assis ou coin de l'atre, le vieillard sympathique, so grosse pipe en t erre ou coin des lèvres. Un grand silence plane ,coupé par instants par Je cri lugubre des chouettes, qui se réper– cute dons toute Io montagne. - C'est plutôt sinistre, fit Robert. Brr... je n'oime pas ces oiseaux-là ! - Tiens, mais qu'est-ce que ceci ? En con– templation devant un écureuil empaillé, à l'œil narquois et moJicieux, Luc a découvert, entre Au temps forcées des restrictions d'autrefois Les pommes de terre, le café, le sucre... Autant de produits indispensables, devenus très rares. Pourtant, ils n'ont pas toujours existés... Ainsi les pommes de terre, originaires des Andes, du Chili et du Pérou, ne furent intro- duites en Europe qu'en 1 5 3 4, en Espagne d'abord, puis en Au– triche et en Allema– gne d'où elles passè– rent en Suisse puis en France, dans les ré· gions de l'Est. Toute– fois ce n'est qu'en 1788 que Parmentier planta les premières pommes de terre dans la plaine des Sablons, près de Paris, et vous connaisse? tous les sub– terfuges qu'il dut employer pour faire admettre définitivement ce légume dans l'alimentation. Qui e ût pensé à cette époque que nous en serions un jour, tellement privés 1 Et le café 1 il nous faut maintenant pou~ le remplacer, user du fameux mélange national. Pourtant ce n'est qu'au 17" siècle quie le café fut introduit en France ; on com– mença A en faire usage à Paris en 1669, malgré les avis des médeeinl qui le consi– déraient alors comme un poison. On fait l'honneur de sa découverte à un berger Ethiopien qui remarqua un beau jour que ses chèvres étaient d'une vivacité extraordinaire après avoir brouté les graines et le s feuilles de l'arbrisseau appelé alors " cafetier ". Les orientaux furent donc les pattes de Io petite bête, un papier jauni et fripé._ Robert se précipite et une exclamation lui échoppe : - C'est le· testament du Père Buzord, et en notre faveur, encore ! Il l'o placé devant cet écureuil que nous a imions tant, pensont bien que nous l'y dé~ouvririans un jour ou l'outre. En effet, d 'une écriture tremblée, le vieillard avait tracé quelques lignes, faisant sov,oir qu'il laissait aux deux enfants sa maison et ses collections, tout son trésor... Mais pendant que les deux héritiers, tout à leur joie, esquissaient une farandole endiablée, Louisou, tout pôle, fixe sur Io montagne un regard inquiet et revient brusquement vers les deux frères. - Chut !... éteignez vo5 lampes, un falot monte le sentier... Un falot ? En moins de deux, les garçons, calmés, sont à Io fenêtre. Une lumière g rimpe, en effet, le long du petit bois... elle approche rapidement... bientôt une forme blanche se dessine sur la masse sombre des sapins. Un cri échoppe à Luc : - Le fantôme 1 cochons-nous... Quelques secondes plus tord, le cœur bottant malgré leur couroqe, les trois garçons sont dissimulés derrière une qrosse caisse d'où ils vont pouvoir tout observer sons ê tre vus. Les pas se rapprochent... les enfants étouf– fent leur respiration... quelques secondes passent QUÎ paraissent des heures, puis une voi>e reten~ tit... Ils sont donc plusieurs ? Deux personnages. vêtus de cirés mastic vien– nent d'entrer dons ln pièce, un soc immense couvre leur têt e, les voici tout près de Io caisse... E:t soudain c'est la catastrophe... Un feux mouvement vient d 'échapper à Luc... Io caisse gémit sourdement... un des hommes se retourne et, scrutant l'obscurité, se penche vers son camarade qui incline affirmativement Io tête. Deux rninutes s'écoul~nt encore, longues comme. des siècles, puis les deux hommes s'ap– prochent du coin où, plus morts que vifs, nos trois héros retiennent leur souffle. Sûrement ils sont découverts... on va les foire prison– niers... les tuer peut-être... Mois non... les inconnus se sont contentés de prendre ou mur quelque chose que les enfants ne peuve nt distinguer e t pui~, revenant vers le milieu de Io pièce, ils s'agenouillent sur le sol... Un bruit mot toit tressaillir les garçons... des pas s'éloignent... puis, plus rien... Intrigués, les enfants lèvent progressivement Io tête... et restent médusés de stupéfaction. Il n'y a plus rien dons la pièce... plus rien qu'un vaste trou béant par lequel, sons doute, les <reux hommes ont disparu. Un bruit confus de voix monte encore par .Io trappe entr'ouverte. - Ço doit ê tre un souterrain, affirme Loui~ sou, qui a collé son oreille ou plancher, ils ont l'air d'être déjà loin... les premiers A prendre du café et dès le 8 s• siècle son usage était répandu dans tout l'Orient. Quant aux 500 grammes de sucre qui nous sont octroyés chaque mois, ils auraient <llr>n doute ravi nos ancê- tres, car la substance de la canne à sucre , bien que connue dans l'antiquité, ne fut im– portée en Europe q u'à l'époque des premiè– res croisades ( 1230 J. Le sucre ét ait alors considé ré comme un produit de luxe, et A la fin du 15' siècle, il se vendait 7 fr. 27 la livre et le sucre candi 14 fr. 96. Malgré son prix élevé, le sucre était devenu indispensable tant et si bien que, lor.1 du blocus de 1806, il fallut lui trouver un remplaçant (déjà,! vous voyez qu'il n'y 11 rien de neuf sous le soleil) et c'est à cette ép'oque que naquit le sucre d e bette raves. Jusque là, seul le sucre de canne était connu. Et n'allex surtout pas croire qu'on anail acheter une livre d e sucre chez l'épicier du coin, ce produit si précieux était vendu 11nique- '" ment par les apothicaires, c'est ainsi que se nommaient les pharmaciens de ce · temps-là, Ul!l privilège royal leur accordant l'usage exclusif de cette denrée. • Mais alors, que faisait-on A cette époque où tant d e choses étaient inconnues... Mais on s'en passait tout simplement et comme nos aiew ne conn11issaient pas la carte de viande, de pain ou de fromage..• ils n'en éta :ent pas plus malheureux pour ça... Et peut-être mangeaient· ils des aliments que nous ne conn11issons plus 1-. Robert a une idée de génie : - Une seule chose à foire... fermons Io trappe... Aussitôt dit , aussitôt toit. Avec un claque– ment sourd, Io trappe se referme sur les deux hommes qui, tout au fond du souterrain, sont Join de se douter de ce qui leur arrive. Pour plus de sécurité, les enfants font glisser quelques grosses caisses sur Io trappe et, troriquilles maintenant, se mettent à danser Io sarabande : - Pris 1 ils sont pris, nos fantômes... Louisau, le premier, retrouve son sérieux : - Je vois aller prévenir mon père pour qu'il fosse prendre ces lapins dons leur terrier. - C'est ça... mais fais vite... on t 'attend ici... Une demi-heure plus tord, Louisou, son pète, Je garde champêtre et deux hommes, des blu:he– rons que l'on a mondés en passent, font à leur tour leur entrée dons l'antre du sorcier. Les deux bandits voc':iféroient et envoyaient depuis plusieurs minutes des coups rageur~ contre Io trappe qui ne voulait plus se rouvrir. Par exemple ! dit un bûcheron, je cannois cette voix... RnbeJ·t se 11rèci11ite••• une e.:rrlamatio11 s'ér/1a1111e de ses ltl-r"3... Les caisses enlevées, la trappe s'ouvre... stu– oéfaction générale... c'est Renoudin aui, Jo figure empourprée de colère, apparaît. suivi de Léo, son commis. De rouges qu'ils é taient, tous deux deviennent pôles en apercevant le mo ire et tous ces visages ahuris... Le ton du magistrat . se fait sévère : - Que faisiez-vous dons cette cave? Ce qu'ifs foisoient dons cette cave, qui regorgeait de stocks de sucre, de café, de savon et autres marchandises précieuses, M. le Maire ne tut pas long à le savoir... Fervent du commerce noir, il s'en servait tout simple– ment d'entrepôt clandestin... L'affaire n'en resta pas là et Rena udin paya cher sa conduite. Quant a ux trois enfants, il furent chaudement félicités et l'on reconnut officielleme nt Luc et Robert propriêtoires de Brommofcnt et d.:o SC> trappe secrète... Ed. ilo.urron. 'avaien t qu'aviver ffi ousie de. l'autre. On ne savait pourquoi .cette que– relle d'enfants les avait sui- vis d ans la vie. Jacques Lomier était de– venu maître horloger, et G ratien Corlieu propriétaire d u Bocage, jolie petite ferme enfouie dans les arb res au bout du chemin creux. Les situations différentes, la politique ensuite semblaient avoir divisé les deux hommes à tout jamais. Ainsi cette vieille querelle sans cause profonde menaçait-elle de durer longtemps encore. Cette semaine-là, i~ avait plu ·à torre nts, J la rivière. si calme habituellemen t, roulait des Rots tumultueux d ans un grondement de 1 tonnerre. Un jour, la pluie avait cessé dep.uis le matin. Jacques Lomier décid a d'aller jusqu"au village voisin où des commandes l · attenaaient. Il suivait d'un pas lange la rivière q uand le petit Amédée q ui, l'aperçut, lui cria : rapide la route qui il vit courir vers lui d u p lus loin qu'il - M'sieu Lamier, vous ne pourrez pas passer... - Qu'est-ce que tu me racontes, p lus p as– ser... et pourquoi donc ) ... - L'écluse des Enchantées a sauté... Sous le coup de la nouvelle, Jacques sen- Jean-FrançDis [ ~ g'éqgipe Jean- Françoi~- est arrivé un des premiers à Io classe du matin. Rapidement son regard o fait le tour d es quelques garçons éoors dons la cour : Louis ne s'y t rouve pas. En vain le chef d'équipe guette jusqu'à Io cloche l'a rrivée des é lèves, en vain il se retourne à l'entrée de choque retarda ta ire Io motinée toute ent ière s'écoule so ns q ue Louis pa roisse à l'école. Au moment où la classe se vide, midi sonné, le maitre fa it signe au chef d 'équipe : u Dites– moi, Jean-François, savez-vous pourquoi Louis est absent ? - Non, Monsieur, mais ;sollais justement voir chez Jui, à midi. - Bon... dons malade juste en cc moment ... n et Io phro~e s'interrompt net, tondis que le molade coche sa tête dans son oreiller pour que son chef ne le voie pas pleurer... Jean-Fra nçois, bouleversé, " st resté plusie urs 'Ylinutes près du Jit, mu rmu– ra nt à mi·voix des mots de réconfort et puis, comme Io Maman lui faisa it signe qu' il ne fallai t pas fatiguer le malade, il s'en est o llé en prometta nt de revenir bientôt. En va in le soleil luit dons Io rue joyeuse, Io pauvre fig ure d~ Louis honte l'esprit de Jean- François, qui se hô te ve rs sa ma ison. Que faire, oui, que fo ire pour tit u ne joie mauvaise e mplir son. cœur... Si l'écluse a sauté, le Bocag e doit ê tre sous l'eau... et a lors, Corlieu.. . li voulut répondre au ga min, mais celui-<:i continuant sa course p o ur annoncer la nou– velle au bourg était déjà loin ... Que faire ? Il n'était plus question d'aller a u village... Alors, cédant à sa curiosité et peut-être aussi à la joie mauvaise d e cons– tater lui-même les dégâts causés par la crue, l'horloger prit le chemin d u Bocage. Bientôt, il devait s'arrêter, saisi d e sur– orise. La rivière s'était d éversée dans la prairie et encerclait complètement la coquette habiration construite en co n tre-bas de la route. Les Rots déferlant avec rage entraî– naient tout sur leur passage : des jeunes arbres déracinés, des tonneaux, d es p lanches , des fagots... et déjà ils avaient a tteint la hau reur d u premier étage, semblant devoir submerger compl~tement la maison. Les situ ations rfi/Térentes semblai.ent avoir <livisé les clei1x llommes à tout jamais... Sur le talus v01sin, un groupe d'hommes et d,,. femmes contemplaient le . désastre, ges– ticulant, se démenant sans g rand résultat... Du reste q u 'auraient-ils pu faire conrre la napoe liqu ide dont la ruée irrésistible s'éten- dait de plus en p lus . ' Emu m algré lui, l'h orloger s'approcha. Y a-t-il quelq u'un à la ferme, demanda- t-il. Nous ne c royons pas, les enfants ne sont p as encore revenus de l'école. G ratien Coilieu est parti avec le marchand de bétail et la mère esr 'allée à Mousseaux voir sa sœur malade. A peine cette phrase était-elle terminée que, brusquement, u ne fenêtre, presque au ce cas, vous me direz ce qu'il en est à deux heures Comme une flèche, Jean-François f ile vers Io . maison de Louis. D'a ussi loin qu'il peut , il fixe Io façade occue;llonte où sourit . d'ha bitude gronde ouverte, Io fenêtre du Cœur Va illant. Mois une ongoisse lui g lace Je cœur : sur le devant de Io . maison, Io fenêtre de Louis n'est pas ouverte, 1Ies volets en son.t à demi clos... pas un cha nt, pas un rire ne rompt l'espèce de silence t riste qui pèse sur Je petit jardin. Timidement, comme s'il cra igna it de t roub ler ce silence et d'en savoir plus iong, Jea n-François t ire sur le co rdon de la sonnette ramener 101e et courage ou cœur du malade ? Tout à ses pensées, le chef d'équipe est passé à toute allure devant Ja maison de Léon, il n'o pas vu remuer impercept iblement u n rideau à demi baissé, il n'a pa s vu, derriè re ce rideau. Je regard moqueur qui Je suit, ni entendu le chant monotone, impérieux· et ra illeur comme un ricanement... Son repos fini, Jea n -François reprend le chemin de l'école. Ma is tandis qu'il remet -<iu maitre •e mot de la momon de Louis et q u'i l exp lique le résultat de sa visite, ur remue-ménage agite derrièce leurs pupitres les ras de l'eau, s 'ouvrit , et une enfant a ffo lée se mit à pousser d es c ris de d étresse en tendan t ses !Je!'its bras. La petite Julienne , !a b enjamine du fermier, était restée au lo – g is . . · E n partant tou t à l'heu re la maman avait dû laisser la fillette com pta nt sur les grands q u i devaient bientôt rentrer de recole. .. vraiment, il ne p ouvait rien lui a1riv1:'r . .. Commen t aurait-on pu p révoir u n e telle catastrop he ?..• • Il faut sauver ce tte petite Une voix vient de retentir dans le silence lourd d 'an goisse ; et au son de cette voix taus se reroument stupéfaits , L am ier, c'est La m ier qui a parlé, lui... l'ennemi mortel de Corlie u . Mais Lomier semb le indifférent à la sur– prise qu ïl provoque. Son re gard résolu a fait rapidement le tour de l'horizon. « Une b a r– que n !. .. Mais chacun a hoché tristement la tête . Une b a rque il n'y en a pas à m oins de plusieurs kilomètres. .. et le temps d "aller l'n cherch er une l'eau qui monte toujours i aura <J(.r>assé le niveau de la fenêtre... Il • sera trop tard... Sans dire un mot, Lamier a retiré sa veste. l Et avant q u'on a it pu esquisser un geste pour le retenir, il s'est élancé dans l'eau mau vaise.. Le couran t est d'un e rare violence... l'hom- me lutte é n ergiquem e nt. li arrivera ... li veut arriver ~t sa volonté est telle q ue sa fo~ce en est décu plée. V ingt fois, ceux qui , d epuis le talus, SUI· va ient ses moindres gestes la gorge serrée par l'émotion , le croient disparu dans les rerribles remo us, vingt fois ils le voient réapparaître, invincible, héroïq ue, opiniâtre. E.nfin . le voici a rrivé à la maison. Deb out sur la fenêtre q ue leau efReure en grondant, la p etite crie toujours.. . . De sa grosse voix, Lamier la rassure. .. - N 'aies pas peur. on va te sortir d e là ! Puis s'a idant d ' une poutre qui p ar chance se trouvait là , il bondit er pénetre dans la p ièce. li é ta it temps·, déjà l'eau s 'engouffrait en g rondant à l'intérieur de la maison , dans quelques m i.nutes il se rait im p ossib le de ré– sist<>r au terrible courant. Tout doucement, un pas léger se foit entendre o l'intérieur et Io silhouette mince de Io Momon s'encodre dons l'entrebâil lement , de Io porte. Un sourire passe sur sa fiqure pâ le : u Ah ! c'est toi, Jean-François ! Tu viens voir ce que fait Louis ? J'allais justeme nt e nvoye r un mot à so n maitre... Oui, il Cst malade, le docteur vient de venir... n . Malade, Lou is ? Ma lade pour de bon ?.. Jean-François a peine à en croire ses o reilles. Puis, comme Io mama n l'invile. à entrer, il pénètre, sur Io pointe des· pieds, dons Io chambre où cela sent Io tisane et _ la: pha rmacie. « C 'est une g rosse bronchite, gors de son équipe. Un, puis plusie urs papiers cirçulent de main en main et il fa ut une inter– ven tion énerg ique d u maitre pour fa ire cesse r toute cette effervescence . A peine Io récré est-elle sonnée q ue tous se précipitent sur leu r chef d 'équipe : (( Jean-François, Jco n-Fronçois, regarde ... u Mais Jean- François n'a pas besoin de rega rder. Dons son bureau a ussi il o 1 rouvé le même p a!)ier qui ag ite si fort ses 6qL1ipicrs e t sur ce pap ier, s'é talen t en Jet t res noires, les fameuses lett re s rnaladroites e t rage Lises de la bonde des XxX, la phrase suiva nte qu'illustrent A la fe11et1·e la )letilc r r il•it tobfo11rs... Arrach ant un ridea~ qui p endait dans le vent, Lamier arrima sur oes épaules le léger fa rd eau, et p u is se faisant très douce , sa vo ix rete ntit de n o u v eau : - Ecoute-moi b ien... T u vas m e p ren – dre par le cou... T u ne m e lâche ras sou s a u cl!n prétexte, je vais n a ger ve rs la rive , no us y retrouverons ta maman ... et tu sera~ en sûreté... • Une ... Deux... un p louf dans l'eau q u i jaillit d e toutes parts , un p rodigieux effo rt pour franch ir les remo us et a tteind re la te rre ferme... encore trois b rassées... plu s qu 'un e ... enfin ça y est. .. S oud ain une bousculade.. . se frayant un passage d ans la foule un hom me accourt et ·dresse sa haute s ilho uette devant Jacques : c ' e st Corlieu q ui vient d'a p p rendre la terri– ble nouvelle , et fou d'an go isse il v ie.n b d ' a pe rcevoir la m a ison à demi-su bmergée . .. il vient d"apercevoir aussi l'émouvan t, lïna t– tend u, le bouleversan t sau vetage ... Sans u n mot , Jacqu es L a m ier rega rde G ra– tie n C orlieu et lu i désigne la petite main– te nan t souriante qui se b lottit près de lui. . . P u is s'effo rçant d e se ressaisir tout à fait, il fait demi-tou r. Mais le fermier, haletant d'émotion, s'es t élancé derrière lui. .. D c;van t la foule m uette q u i re garde de to us ses yeux , il • saisit son ancie n e n nemi à p leins b ras tan dis q ue s' éch appe d e ses .lèvres ces simp les m ots : - Mo n frère !.. . ] .-G . BEAUCELS. En+? ou en ? • explique Io maman à voix basse, il en aura pour plusieurs jours... n. Sur les oreillers où elle repose, Io figure de Louis est rouge et t irée. C'est à peine si elle s'écla ire d'un sourire o Io vue de l'a rriva nt. u Alors, mon vieu~, ça ne va pas ? ,. Lo uis a une g rimace qui en d it long, mois il ne. dit rien... Lo voix de Jeon– Fra nçois se fa it encore plus amica le : u On va penser fa meusement à toi, tu sais, t u verras, tu .guériras vite... u. Ce t te fois, une espèce de sang lot étrangle la voix de Louis, tandis qu'il répond t rè s vite : <c Non... j'en ai pour long– temps, je sais bien... Oh ! Jean-François, êîre de grossières ca rica tures " Un C.V. de moins dans l'équipe... ça fa it une chance de plus pour nous... XxX 11. Ag ités, furieux, les garçons a t tendent les réa ct ions de leur che f. Mais Jean-François reste ca lme. Quelques mots seu– lement s'échappent de ses lèvres, quelques mots si mystérieux qu'ils la issent les équipiers mé– dusés d'étonnement " Un C.V. de moins dons l'équipe ? Bien vrai... il n'y est pas du tout, Raoul... 1>. !A suivre. ) Jean Bernord.

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