Cœurs Vaillants 1941

L'ÉTRANGE PISTE LA MONTAGNE coua. Voyons, il n'était pas venu sur la montagne pour ruminer des pensées noires mais plutôt pour s'en débarras– ser, les oublier, ne fut-ce qu'une jour– \ née. Trois cents mètres le séparaient se sur la neige, examina les traces. - Pas d'erreur. Un homme est passé · par là, il n'y a pas une heure. Un chas– seur. La plaque de neige finissait, les traces d,isparurent et Fer– rage ne songea plus à leur auteur, repris par ses pensées. Quel hiver ! Son père était mort en– core dans la force de l'âge. Trouvant dans le travail un dérivatif à sa dou– leur, le fils avait" fait face à ses nou– velles responsabilités, mais ses forces l'avaient trahi. Une pleurésie l'avait cloué au lit plus d'un mois. Pendant ce temps le printemps était venu. Fer– rage a vait senti la terre s'éveiller , le village secouer !'Engourdissement de l'hive r. Ah ! la longue, la lourde épreuve ! Mais il y avait près de son lit, pendu à la muraille, un Christ aux yeux très doux. Il lui suffisait de le regarder pour que s'évanouit toute idée de révolte. Enfin la guérison vint. Avant de re– prendre la charrue, il voulut revoir la montagne, r espirer un autre air, saluer les cimes amies. Il n'y remonterait pas cet été puisqu'il n 'avait plus de trou– peau. Ses brebis, ses moutons, ses agneaux, un m a rchand était venu les prendre au début de. sa maladie. Mais il lui restait les vaches, il restait les terres. Ah ! les terres, son plus cruel souci. Deux bras ne peuvent faire le travail de quatre. Et il était bien dé– cidé à ne plus se surmener, ne pas r e– tomber malade. P asse d'ê tre malade en hiver, mais ·malade au printemps alors que les sillons s'ouvrent de toutes parts, malad e e n ~t..! alors que fen aison et moisson réclament tous les bras dis– ponibles et en automne au moment des récoltes, non, finie la plaisanterie. Mais, alors, les terres ? Il devait en laisser une partie en friche et cela au moment où le Maréchal disait : « Toute terre laissée en friche c'est un morceau ·de France qui meurt... ». Ah ! certes, Jean Fe rrage n'avait pas besoin qu'on vint lui apprendre ses .de– voirs de terrien, il était paysan dans l'âme ; paysan : l'homme du p ay s, ce– lui qui maintient.. Prendre un valet ? F errage haussa les épaules. Où le trouver ?... Brusqu em ent le jeune homme se se- encore du point de vue qu'il · avait choisi. La neige avait disparu des val– lées, mais elle régnait toujours en haut. Cette ceinture de cimes blanches étin– celant au soleil, comme ce serait beau et apaisant à contempler. • Ferrage s'arrêta, renüla l'air. - Ça sent l'anis... l'anisette d'Es– pagne... Qu'est-ce que ça veut. dire ? L'odeur de plus en plus forte le con– duisit au bord de la falaise. Pour ses yeux de montagnard le sol était comme un livre ouvert. Cette longue éraflure dans la terre, ce bout de gazon · arra– ché, ces alvéoles neuves dans la roch~ délitée par le gel : l'homme dont il avait vu les traces sur la neige n'était pas un chasseur, mais un · contreban– dier. Marchant trop près du bord il avait glissé. Avec précaution Ferrage se pencha. Trente mètres plus bas une espèce de plate-forme surplombait un abrupt impressionnant. Sur la plate-forme un homme assis fixait l'abîme. - Hôo ! dria Ferrage. L'homme releva la tête. - Tu es tombé ? - Oui. - As-tu du mal ? - Un bras cassé. · - C'est bon. Attends-moi. Ferrage ne se souvenait plus qu'il avait été malade ; il avait retrouvé toute sa souplesse de montagnard. Dix minutes plus tard il débouchait sur la plate-forme. En approchant de l'acci– denté, il vit un visage jeune ensan– glanté par des écorchures, des habits déchirés ; le bras droit pendait inerte. Un grand sac tyrolien était suspendu aux épaules de l'homme, tout le bas du sac était mouillé et dégouttait par en– dr oits. C'est de là que provenait l'odeur d'anis ciui avait signalé sa présence. L 'odeur était si violente que Ferrçige en fut un moment étourdi. L'homme gémit : . - Le sac... Il me fait mal... Ferrage déboucla les courroies puis, à la demande de l'inconnu, il ouvrit le sac qui ne contenait plus que des dé– bris de verre baignant dans un liquide sirupeux. Toutes les bouteilles d'anis s'étaient fracassées au cours de la chute. Ferrage ne laissa pas le contreban– dier s'a ttarder à la contemplation de ce désastre. Il vida le sac des morceaux de verre, le mit sur son épaule. - Cet endroit est malsain. Il se trouve dans l'ombre. Remontons au so– leil. - Je ne pourrai jamais avec un seul bras. ~ Mais moi j'en ai deux. Je vais t'attacher à moi avec ma longue cein– ture de toile. Je te soutiendrai. Nous y mettrons le temps, voilà tout. Tu pen– ses bien, acheva-t-il en souriant pour le réconforter, que je ne su.is pas des– cendu ici rien que pour flairer l'anis de plus près. Ferrage avait mis dix minutes pour descendre -la falaise, il lui fallut une heure pour la remonter avec son com– pagnon. Aussi épuisés l'un que l'autre ils s'é– tendirent sur la pelouse baignée de so– leil. Ferrage se releva le premier. Dé– licatement il enleva la veste dU blessé, examina l'épaule. - Ton bras n'est pas cassé. Simple– ment l'épaule est démise. - Vous m'avez sauvé· la vie. Sans vous je ne m'en serai pas tiré. - Tu n'as pas le type espagnol. D'où es-tu? L'àutre hésita, puis du geste il dési– gna le versant opposé dans les replis duquel se nichait un village. - Nous sommes voisins alors. Ton nom? - Je préfèrerais ne pas le dire. - Bon. Tu as l'air bien jeune. Quel âge as-tu? - Dix-huit ans. - Et tu n'as rien d'autre à faire que de courir la montagne avec des bouteilles de liqueur sur ton dos ? - Nous sommes pauvres. Mon père a toujours fait de la contrebande. Il me l'a enseignée. - Où est-il ton père ? - A la maison, perclus de rhuma- tismes. - Qu'il a gagnés à courir la mon– tagne par tous les temps, avec souvent les douaniers à ses trousses. En est-il devenu plus riche ? - Non. - Et toi seras-tu moins pauvre quand tu auras son âge et ses dou– leurs ? As-tu songé à tous les risques, à tous les périls qui te guettent ? Les douaniers peuvent te poursuivre, te ti– rer dessus. S ' ils t'attrap ent c'est la pri– son•.. Et les embûches de la mont agne? Elle ne te sera pas toujours aussi clé– mente. Tu ne t 'en t ireras pas toujours rien qu'avec une épaule démise et un passant ne viendra pas à propos te prêter assistance... Dangereux métier qui de plus te met en marge de la so– ciété. N 'en a s-tu p as ch erché d'autre ? - Les propriétaires de chez moi se suffisent. Je ne veux pas de l'usine. J 'aime la montagne. J 'aime ma liberté. - Moi aussi je les ai.me autant que toi. - Mais vous n'avez pas votre vie à gagner ... - Tu crois ça ? Ferrage posa sa main sur l'épaule valide de son compagnon . - Ecoute-moi b ien... T u as un v isage qui me plaît et j'aime les gar s décidés. J'ai perdu mon père cet hiver e t je ne puis suffire à la besogne . J 'ai b esoin de deux bras. Veux-tu m ettr e les tien s à mon service ?... Entends-moi bien. J e ne te demande pas d 'être mon valet, mon domestique. Je veux surtout un aide intelligent, quelqu'un qui fasse partie de la maison... T u m 'aideras à travailler mes champs, à r entrer les récoltes, puis si tu te plais avec moi je me referai un troupeau, t u en seras le berger, et quand tu reviendras s ur la montagne a u milieu de te s bêtes, ce ne sera plus comme un homme qu i r e– gar de de tous côtés s'il n'est pas p our– suivi, mais comme quelqu'un q ui se sent chez lui, qui p ' a de comp t es à rendre à personne... Veux-tu ? Conquis par la franchise du regard, la cordialité de la voix, le jeune cont re– bandier balbutia : - Je... je veux bien essayer. - Merci, Naudy. - Vous... vous savez mon n om. Je ne l'ai pourtant pas prononcé. - Je connais ton père de r éput ation. Il ne s'est pas toujour s livré à la con– trebande. Plusieurs an nées il f ut b er– ger communal. Il se re n cont ra av ec mon père dans les pâturages et ils de- vinrent amis. Nous aussi nous serons amis... C'est bon, ne m e remercie pas. Tu vas r entrer chez toi. Je t 'a ccompa– gne pour franchir les p a ssages diffici– les. Tu te soigneras. Une fois guéri t u repasseras la montagne pour ven ir manger mon p ain. Est-ce d it ? - Oui, patron. - Alor s, tope ! Une franche poignée de m ain scella l'accord. .. Les gens se demandèrent p ourquoi J ean Ferrage redescendit de la mon t a– gne plus allègre qu'il n 'y é tait monté. Il n'en donna l'exp lication qu'a ux siens. - Les desseins de Dieu sont impré– visibles. J 'étais allé da ns la mont agne pour en savourer le calme et la bea uté, m 'y refair e des pensées neuves, et j 'y ai accompli un double sa u vet age . J 'y ai trouvé les b ras qu'il me fallait pour sauver nos terr es, et sur tout j 'a i ra– mené un homme dans le droit chemin. J oseph DENGERMA. PA5 M OYE.N Ote OOQMÎ~ AVEC. T OU<; C e.<:> , . c.o uRAt\,fT"S t>A1R 0 .;i. o u I L'IE'lf'li1!ANJGE VDSUTEUR La nuit était claire. Le parc, baigné de lune, dormait paisiblement et la somp– t ueuse végétation des Tropiques semblait s'être revêtue d'une housse terne. Les massifs d'orchidées ne se différenciaient plus des buissons d 'alentour. Quelques cè– dres dressa:ent de-ci de-là leur silhouette géante et l'on eût dit des sentinelles a s– soupies. Parfois un cri aigu venait de la forêt ·voisine où les mille luttes de la brousse ne con naissaient pas la trève nocturne. Mais le parc restait figé dans son indifférence. Pourtant, soudain , l'ombre d'un fourré parut s'éveiller. Des feuilles s'agitèrent. Un frisson parcourut la dentelle des fou– gères arborescentes. P récautionneusement, un homme se glissa vers un cèdre et se plaqua contr e le tronc, comme s'il a vait voulu faire corps avec lui. Quelques minutes s'écoulèrent. L'hom– me, attentif , semblait sonder le silence. Mais rien ne troublait le sommeil du parc et seul, dans le lointain, vibra le miaulement féroce d'un ocelot. ~ ~~ l)' u t6 60 1t 0 L' HOMME A\IAIT PLOllG>~ PAl'l:i Ul1YAI LLI So tue n e prendra fin que lorsque nous le tiendrons, mort ou vivant. Tu connais la consigne... - P our moi, suggéra un autr e, s'il n'a pas été touché, il doit chercher à ressor – tir du parc. - Eh bien ! il y trouvera une aimable r éception... L'équipe extér ieure est ar– mée de cara bines... Mais assez parlé... Le gravier de l'allée crissa sous de lour des bottes, des ordres furent hurlés du fond du parc. Immobile, face contr e ter re, l'homme traqué attendait. A plusieurs reprises ses poursu iva nts l'avaient frôlé. La tige d'une fougère, brisée ~ar une balle perdue, s'é- QUEL EST LE PLUS BEAU SALUT ? Y'ell!I~ ~ir@ns Cœurs Vai~~ci11rd! qL11û Ofit le sourire et qua sont très ~fiers die ..vous sa~ueli' fous. petits frères de partout... mais dites m oD 11 .ai v@f r e avis 0 quel est de ces t rois amis, celui qui vous fait le plus beau ~aUuf? Discutez donc cela enfre vous el nofez soigne u- , seme nf voire a vis. Lo sema ine prochaine no us vo us do n n e r o ns ic i celui du Mou ve me nt . tait r epliée mollement et lui caressait le visage. Il tour na la tête pour échapper à la senteur âcre de l'humus et regarda, à travers les frondaisons, le ciel piqueté <l'étoiles. Les rumeur s, autour de lui, s'apaisaient. - Les voici un peu calmés, ricana– t-il. C'est le moment... Avec une souplesse de félin, il se ·dé– gagea des lianes, se releva à demi et con– tourna une touffe de bambous. Il s'ar – rêta au bor d d'un espace dénudé et, per – plexe, considéra la masse sombre qui se dr essait devant lui, au delà du décou– vert. - Hum ! ce. ne sera pas facile. La bâtisse, large et longue, ne possé– dait qu'un étage. Aucune lumière n'y bril– lait · mais des rayons de lune se r eflé– taient sur les vitres de la façade princi– pale. Pour atteindre la maison il fallait ou b:en traverser la pelouse rase, ou bien aborder la construction par l'aile gauche, que r ejoignait un fouillis d'ar – bustes. Le rôdeur noctur ne dut choisir cette seconde solution car il obliaua der rière des corbeilles de rhododendi·ôns avant de dispài-aître, un peu plus l oin, dans les ténèbres humides du hallier. Malheureusement pour lui, si rapide qu'il fût, l'homme n'a vait pas r éussi à passer inaperçu. Une salve salua sa brève appar ition tandis qu'u n sifflet déchirait. l'air , fu– rieusement. - Par ici ! appela une voix. Je l'ai vu. Il ne nous échappera plus ! :Oe nouveau, le silence se peupla de cris et de galopades. Indemne, l'homme poursu:vi s'était dissimulé sous la ro– caille d'un bassin. Il haletait doucement, comme un gibier for cé par une meute. Des appels s'échangeaient d'un bout à l'autre du pa rc, puis quelqu'un donna des ordres : - J 'ai fait a ppeler ceux de l'équipe extér ieure. Ils vont nous prêter la main pour rabattre l'homme jusqu'à la mai– son. Comme nous faisons un cercle corn- VITE ! C ERN EZ I.E! ti.. s·e ~ r C.4CltE LA plet, il se tr ouvera acculé contre les murs. Bob, va vér ifier si toutes les por– tes et fenêtres sont fermées... L'homme tr aqué comprit sans doute qu':l était grand temps d'agi_r s'il ne voulait pas être_ p ris au piège. R~mas­ sant une pierr e, il se redressa et visa la lucarne d'une baraque en i;lanches si– tuée un peu en r etr ait et qui devait ser– vir à ranger les outils de jardinage. Il Y eut un bruit de verre br isé, de ferraille heurtée et, aussitôt, des cris s'élevèrent. - Vite ! Cernez-le ! Il s'est caché là– dedans... Un rire silencieux retroussa les lèvres du rôdeur . ·La vieille feinte avait, une fois de plus, réussi. Sans perdr e une se– conde il se faufila entre les a r bustes, dans la direction de la ma ison, penda nt que ses poursuivants, exaspérés, enfon– çaient la porte du débarras. Une fenêtre se présenta, puis une por– te. Elles étaient fermées. Le temps pres– sait. L"étrange visiteur cour ut le long du mur et vit enf :n une fenêtre ouverte. Il n 'eut pas d'hésitation. D'un rétablisse- m ent ner veux, il se souleva sur le re- bord, sauta à l'intérieur . · Il était temps. Déjà les chasseurs d'homme, furieux de leur déconvenue, abandonna ient la ba raque pour reprendre leur battue. - Tout est fermé, Bob ? demanda le chef. Une voix répondit de l'intér ieur : - J e m'en assure. Des pas précipités faisaient sonner les dalles du couloir. Tapi derr ière un ri– deau, le visiteur entendit qu'on poussait violemment la croisée et, la minute d'a– près, il perçut le g rincement d'une espa– gnolette dans la pièce voisine. Comme la porte d'entrée se refermait bruyamment, l'homme abandonna sa ca– chette et, l'oreille aux aguets, s'avança jusqu'au couloir. La maison pan1 issait déserte. Les bruits de l'extérieur n'y ar– rivaient qu'assourdis. La pièce que venait de quitter le vi– siteur était une buanderie. Le couloir , longeant les offices, l'amena au vest ibule lar gement éclairé où prenait naissance un escalier monumental. D'un r egard vif l'homme s'assura que personne n'était en vue et, ·en quelques enjambées, il traversa le vestibule. Des détonations claquaient da ns Je parc. - Ils finiront bien par s'entretuer ! grommela l'homme en gra vissant quatre à quatre les marches de pierre. Arrivé sur le pal ier, il hésita devant la douzdine de por tes qui s'offraient à lui, puis, lentement, il fit tourner une poignée. - Une l:ngePie ? Non. Il ouvrit la porte voisine et, cette fois, entra. Il se trouvait dans une vaste chambre, confortablement meublée, et qui représentai t assez bien Je type de ce qu'il est convenu d 'appeler une « chambre d'ami ll inoccupée. • Avec un soupir d'aise, l'homme épcm– gea son front couvert de sueur et s'ap– procha de la fenêtre. Dans le bas les gar– des continuaient à battre les buissons du parc. - Eh bien ! ma foi, j'a i gagné quelque repos, je crois... A demain les affaires sér ieuses... Le visiteur, nonchalamment, retira sa veste, dénoua sa cravate. A la clarté lu– naire qui pénétrait dans la chambre il appar aissait jeune et mince, plutôt petit. Sa bouche, largement fendue, restait en– tr'ouverte pour un sourire gouailleur et, dans la pénombre, ses cheveux avaient des · reflets de cuivre. En un tournemain il fut déshabillé et se glissa entre les dr aps fra is. Un bâil– lement lui distendit la mâchoir e. - Ah ça ! ne pourraient-ils ·pas se taire, ceux-là ! La meute, désorientée, tournait en rond en quête de son insaisissable proie. Une porte battit l ugubrement sur le palier ... ( A s uivre) Georges MARlÉVAL. ~lt 8 11ilH MA f QI , J'AI 64GHE {JUELQUC: i!l li PO,), "' E C. il.015 ..... LA SEMAINE PROCHAINE ff©iilr?e tclle ~ûe \!H11 ~ (!! BTil C Il' Il'

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