Cœurs Vaillants 1941

Depuis trois jours, il neil!eait sur la montagne. Tout était blanc, partout. Blanches les routes en lleet9, blanches les pentes boisées, blanches les grondc-s coulées <le pierres, les casses, comme 011 dit 11u pays, lJloncs les toits des maisons du bou-1:!, frileusement serrées autour de Io tlne éf!lisc gothique c{ont lq dentelle de picr:rc s'ourloit de g\vrc. Et oono cesse lco tourbi1lon!I de vent foi· 1rnic11t dun,cr les flocone, serrés, épais, ailcnçicux. Jean Cnrrel, Je fils du docteur, avait abandonné rlcpuis quelques instants so collection de « Cœur!I Voillonls » épars sur Io table de la grande salle à manger ct 1 le nez collé contre Io vitre, regardait voltiger Io neige sou• les ûprcs rafales< Quel temps ! Vraiment on ne peut pas sortir. Pourtout quelle bonne partie on ferait f Et ses yeux luisaient au souvenir des batailles de boules, des bonshom– mes de neige tassée, de3 longues glissades en s'.kis ou en luge sur les · pentes infinies. Cor J ean, petit gors robuste et souple, oimait f>B vie de monta– gnard de quinze ons, pleine d'air pur, d'espace êt de mouvement. Un pos léger dons la p1ece le 6t se retourner. C'était maman qui venait voir ce que faisait son ~ors. U ne maman trèa douce et très bonne, dont lt.· fro:Jt, pourtant, était assombri por un pli d'in· quiétude. <l Ça ne va pas, maman ? » ·- <t Si, mon petit, maie je suis un peu en peine pour papa i cc malade qu'il a du visiter habite si loin ; plus de vin:!t lcBomètren ; et par cc temps ... D - ~ Ras – sure-toi, tu sais bien que papa eat un vrai monta– ~nord et qu'il connait son pays ». - 4 Oui, je sais bit'n ! mois je ne peux m'empêcher de me fai re quand même du souci, et je pense... D. La phrase fut interrompue par Io nonnerie grêle du téléphone. La maman dêcrocho l'écouteur : « Allo... Oui, id, le docteur Garrcl... Ah ! c'est voug, M'>n· ~ieur l'Abbé... Non mon mari est parti ;:-;;.--"l!l'" ~ii:l~~;.,;=~;>;>':l~~~'77· ~--=~:-:-.~-~~~:- .. -:771 m:~~?~i!~t ~i~~1 . YA Dieu, le petit Pierre ~~ ~~ v.a!denne... .la diph- ~ ?3,Pr; • ~V/ teric... dOui, . nous ~ ' ' / ~ V'o 0 unss feriez ser:o~~·~ même 1a plqûrc... n' r10is comment le l}3~~~:èÇl\1P".//. faire parvenir 1 i t foudroit... a 1 1o... allo... Un grésille– ment sec. La corn· munication est cou- "' ..• pêe. ·,f ~.;. Maman, toute pô- f"' . ~~ ~~;il le, explique :· « Là- .:-: • • ~\ 1.:.}/ ' . haut, très loin, au "' ~ / . , :. 1 ,·»' · ·•village de Roche- //~; >'J. \ . ,• .. froide, un enfont ., ·.,, .... · ·. ~· " agonise, terrassé par ~ ' :·=:- ~· · · ·' la diphtérie L e ··~\\ 0 " , , ·,. prètrc .de 1·~·ndroi~, , ,. • " ,. . ancien 1nfirm1cr mJ- . •' 4 . ' • "'Y· lita1rc, pourrait foi .. re la piqûre qui le sauverait, mois il n'a rias le sérum nécessaire. Comment foire ? Alors , devant sa maman qui' tremble, car elle a déjà compris, J ean s'est redressé. <r C'est sim– ple, maman, j'y vois l), - « Mois, mon petit, il fait un temps épouvontoblc ». - ~ Ça ~c fait rien, maman, je ferai attention, je connarn les chemins... et puis je connais bien oussi Pierre Valdcnnc, alors tu comprends ... Oui, Io maman a comprie. Elle a incliné la tête sans rien dire, et Jean, en G\lelqucs ges– tes rapides, s'est équipé. Les précieuses am– poules de sérum, protétéea par un paquet de linges, sont serrés dono le one tyrolien. Mainte.. nont1 un gros baiser sur choque joue de maman qui se raidit pour avoir le coura~e de laisser partir son gars. Dehors, J con a chaus!Ô ses 6'cis nprès les avoir munis de peaux de phoques. Puis il a s ifflé Rop, un solide et majestueux chien Saint·Bernard, et en route. Les yeux embués de =zP'i ~ LE CHEF DE L'ÉQUIPE SAINT-LOUIS Jean-Claude est un p etit frère qui · a quitté la terre il y a quelques semaines. A l'équipe St Louis dont il alla it être le chef, Isa piété, son <lévouernent, son cran et son sourire ont laissé comme un sillage de lumière qui guidera longtemps encore les Cœurs Vaillants qui l'ont connu, • Voici cc que nous éerit son abbé : " Jea11-r.laude C..., C.J11'11r d'Or depuis jan11ier, était élève à l'école chrétienne depui:; cette même date. Il devait faire sa communion privée pour l'Ascension . Plusieurs fois, il m'avait supplié de lui permettre de la faire rwanl. La veille de Pâques il insista tellement que je l'autorisai. " J e me suis bien préparé, dit-il, j'ai fait ma retraite " el Jean-C/a,1de communia pour la première foi.~ ile sa vie... Cc brave oœ11r revint se confesser le samedi suÏIJanl el renouvela sa com– m1rnion. Le jeudi il était au groupe... so11 entrain, son dévouement pour la vente du journal, pour la conquête d es camarades (il m'en avait amené 4 déjà) m'avaient poussé à le nommer elle{ de l'équipe Saint Louis, dont le chef était passé aux Ardents... C'est le l'" mai que devait avoir lieu la promotion. Mais... le 27 avril, en plein centre de la ville, Jean-Claude qui avait aidé sa maman à faire la vais– selle de midi, faisa'ït une course pour elle, quand un cycl:ste le bouscula sous un camion qui lui passa sur le ventre. Jea11-Claude fit preuve d'un cran admirable; il ne versa pas une larme, n e poussa pas un cri et garda s<I connaissance jusqu'à 9 h eures, encourageant pen– da11t trois heures ses parents et leur disant : " Ne pleurez pas, ce n'est rien, je serai guéri demain "· Il offrit ses souffrances au Bon Dieu; implora son courage et soudain, tandis que se produisait une hémorragie interne, Jean-Claude s'en alla vers le Bon Dieu. • Et, sans aucun doute, Jean-Claude a rencontré au ciel Christian .et Louis et Pierre et tant d'autres petits gars au cœur généreux qui comme lui étaient chargés d'équipes sur la terre. II a compris que si Dieu l'avait fait venir .« plus près afin qu'avec les Cœurs Vaillants du ciel, il fut « l'ar. ge de Lui » c'était protec'eur » de tous ceux qu'il avait aimés sur la terre. Marcel Jos. larmes, maman a vu disparaitre la frêle silhouette• Puis, rentrée dans Io. maison, elle s'est agenou11lée, mains jointes : <r Vierge Marie, êcortez les forces du maL protégez mon petjot... ?> • Jeon avance dons Io tourmente. Oh f ce n'est pas sa première aventure. Mois cette fois, iJ cat seul et il faut arriver coûte que coûte. Une fierté lui gonfle 1e cœur d'avoir une mission à 1emp1ir. Il progresse à solides enjambées. Ses skis font voler un peu de blanche poussière de neige. Rap patauge deux pas en arrière. Les voilà s ortis du bourg. Voyons, quel chemin prendre? Lo route? trop long, Le sentier ? trop sânueux pour Ica tôcis. Mois une idée lumineuse éclaire la face de J con, déjà toute poudrée de givre. Il suivn1 la ligne téléphonÎG"UC. C'est le plus court et elle utilise des pentes accessibles et qu'il connait bien. En avant 1 • Depuis deux heures, Jean peine de toutes ses forces. Il ne sourit plus.. Lea dents serrées, iJ ménage son souffle et rythme son effort. Une seule chose l'égaye par momcnt 1 c'est d'entendre, der– rière lui., haleter le lourd St-Bernard. Tout vo bien quand même. L'exercice violent le tient au chaud malgré les morsures de Io bise, et Io li$ne télé– phonique est un repère qui ne peut tromper. En~ core une heure environ et on vern:a appa.raître RPchefroide. La rude montée &e poursuit. Soudain, au devers d'une combe, un spectacle inattendu o cloué Jean sur p)oce. Il se souvient alors que lorsque maman téléphonait, la commu· nication avait été brusquement interrompue. Ce . n'est pas étonnant. Une ovoltlnche toute fraiche encore a dévalé du creux des Esses; franchi en trombe Io pente dénudée qui suit et arraché qua– t're, cinq poteaux de Io ligne, cmrilêlant et brisant {b • les fils, avant de sauter dons le ravin à pic. Chose grave : la piste que suit Jean, jusque là unie et assez ferme, a été bouleversée. JI va falloir tra· ver~er cette coulée de nc:ge fraîche. molle, mou• tonneusc, sur une pente de plus de 50°. Mauvaise alloire. Jean hésite. Oh 1 à peine. Le temp• de songer à Pierre Valdennc. Et toute sa volonté bendée, il affronte le dangereux passage. Jean a dû prendre la ,pente légèrement en biais et ~lisse assez vite. Soudain un choc brusque, un claquement sec. Une roche ô fleur de neige o brisé comme verre une spatule de s.'ki. Jean, désé• quilihré, bascule et roule dans la neige molle, Qui arrête heureusement sa chute, cor le ravin mortel est à peine à dix mètres. Le ski brisé s'est déta– ché de son pied et Io mince lame de boi• glis•e et disparait dons le gouffre. Le gars s 1 e3t relevé, une sueur aux tempes. En pateaugeont jusqu'au ventre, il r éussit à frnnchir le mouvais endroit. Il plante verticalement dans la neige l'outre ski devenu inutile et, haletant, continue son che– min, ô pied maintenant. • ha nuit tombe. Jean, péniblement, avance tou– jours. Une seule idée revient sans cesse dans sn tête lasse. Arriver à Rochefroide avec le sérum intact. Et lorsqu'il tombe. par suite d'un faux pas ou d'un trou invisible, il protège son soc aux dépene de son vi,.age, de ses coudes, de ses mains qui, écorchés, saignent. Oh 1 ce village de Roche· froide il n'arrivera donc iemajs t Le petit tilube de fatigue. Ses jambes lui paraissent de plomb. Bt bru3quement l'épuisenlcnt le saisit. Avec un (ri sourd, il s'abatr comm~ une masse dans l'im· mense linceul blanc. • Au bourg de Rochelroidc, moisoo qui semble écrasée sous so > trois ombres sont penchées sur le lit où le petit P:crrc Voldonne rôle doucement : le gr:rnd-p Cre, ln ~snd'mère et le prêtre. La mort rôde atJtour d'eux. Elle attend srr proie. Puis le prétrc n'y t ient plus : « Je voie tôcber de descendre jusque chez le docteur Carrel, chercher cc sérum qui ne vient pas. Il ne fout plus nttcndre, l'enfant est ù bout »· li se lève, pour a ller· tenter cette dernière chonce. Meis un b ruit l' immobH1se. On dirait a n groa c– mcnt impatient à la porte ; mais oui t on grotte de nouveau... et ce bàlètemcnt de bête qu'on en~ tend 1 Rnpidemcnt le prêtre va ouvrir et cc qu'.il voit lui donne un hout·le·corps. Un chien est !ù, un lourd St-Bernard, hirsute et blanc de givre. A con côté, étendue dans lo neige. une main crispée au collier de l'animal, une forme Sf'mbre, petite, pitoyable. Un enfant évanoui. Le prêtre a 1pris Je petit dons ses bras et le porte vers le lumière. Le grand-père et Io grond' mère se sont approchés . Une exclamation leur échappe : <l C 'est le petit Jean Cnrrel )). Jean C:Jrrel... mais alors ? Hâtivement, l'abbé fouille dans le sac accroché au doo de l'enfant et oes doigts tremblent lorsqu' ils reconnaissent Io forme, enveloppée d'étoffe, des tubes de is:thum. (l. Vite, occupez-vous du petit J ea.n, je me charge du reste ». Et maîtrisant son émotion, le prêtre o pris dons so sacoche Io serin• gue et s'est courbé sur la couche où petit Piene lutte ovee la mort. • Pierre Voldenoe maintenant va mieux. Et Jean, revenu à lui, raconte. Lorsque l'épuisement 1=0 fauché Io premiè'"e fois, il a dû rest er évanooi assez longtemps. Puis i1 a 5enti que quelque chose le tirait. Il o ouvert les yeux. C'était Rnp, le brave et fidèle Rnp, qui avait compds que son petit maitre était à bout de forces. Empoignant à pleine gueule le vêtement du gars, il l'a tiré vers les moisons que son instinct lui faisait sentir proches. Al6rs une marche ha!lucinantc a com– mencé. Jes n a saisi Je collier de l'aninrnl. P uis, titubant, tombant à genoux, il (i continué. Pendant combien de temps ? ·Il ne soit : de Ion· ~ guee minutes, des heures, peut-être. Il n cru que cela ne finirait jamais.. Mais il o tenu hon. Jus– qu'à l'instant où, · parmi les blanc• tourbillons, il a re– éonnu le maison éclairée du grand· père Valdonne. Alor& tout o tourné en– tour de lui et il s'est abattu pour le seconde fois. Meia l'intelligente bête as– vo.it que le salut était là, et comme Ja main, crispée de froid, du petit ne lâchait pas Je -col· lier, il l'a · trainé jusqu'à la porte, puis, .sa rode patte. •ur leo planche! de chêne, a demo.ndé du secoure, impé– rieusement• Quelques jours plus tord, dans Io maison du docteur Carrel, Jean, assis devant la cheminée, fait ou bon Rop ses confidences « Vois-tu. vieux Rop, c'est épatant. l\.'lamon est heureuse, paps est fier de moi. Pierre Valdenne est sauvé et j'ai là un omi de plus. Et tout ça porce que mes Cœnrs Vaillants, que tu vois là sur la table, m'ont appris cette chose très simple : <X li fout s'aimer et s'aider les uns les outres ». Et c' est tellement évid.ent, telJement naturel, que toi, vieil ours, qui ne sais même pas lire, tu m'as donné un sérieux coup de moin. Sons toi je r:e serais pas là. Tu es chic, moo vieux Rop ». Et ls brave bête .. écoutait cc langage, sa tête formidable nn peu inclinée, avec dans les yeux cette lueur quogi l..mmaine qu'ont les bêtes lors– qu'on sait vraiment les aimer. Emmenant fois en dans Io paisible pror.iriété de- campagne où le capitaine devait passer son congé . lencieuses. Elles avaient toutes une ca– g oule e n pap ier, un cornet pointu de charlatan sur Io tête ; e lles pouvaient respirer mais ne voyo ;ent rien et en– tenda ient sans doute fort ma l. Aveu– g les et sourdes, e lles ne bougeaient pos depuis Io veille à la nuit, et Xavier, triomphant, d'appeler tout le monde pour constater le me rve ilieux effet de son innovation : chaque poule ·bien sa – gement ovoit pondu son œuf su r le n id... Dire que toutes ses inventions ré ussire nt aussi bien serait exa géré, mois toujours est - il qu'en moins de huit iours. Xav:er é tait célèbre à t ra vers tout le pays et que les g a rçons du village venaient Je chercher en cortèc;e pour l'e mmene r triomoholement à leur pa – tronage. Là, Xavier Lissoko devait le' étonner encore, mois leu r faire passe r le plus bel après-midi qu 'ils o ient ja– mais connu. En fronçais, en olof 1 il chanta, en s'accompagnant d'un tom tom imorovisé, les cha nts et mé lopêes de son ·pays, multiplia les danses e t a crobaties de toutes_ sortes et finale– ment é tonna tout le monde, le soir à Io chapelle, par sa p iété profonde e t candide. • Ca'r, a vait déclaré Xavier Lissoko en arrivant ou potronaoe, moi y en avoir noirs, peau, œils, têt e et p ieds quif Quif, mois y en avoir aussi cœur fronçais blanc comme toi... t-. Et c'est a insi que, retourné dons sa brousse natale, Xavier, f ier d'a voir mieux connu la France sa patrie, con– tinue , comme tous les oeti ts Yolofs ses frères, à servir son pays de tout son cœur blanc et vai llant comme les nôtres. Fronce son petit boy yolof, le Sidi Capitaine l'avait laissé quelques ins– tants seul dans la ocre... Quand il revint, ses billets en poche, Xavier Lissoko, sérieux comme un prince, trônait devant la consione, pieds nus sur les dalles froides. • Et tes sou– liers, mnlheureux ? • Xavier eut un large sourire : • Li "llonsieur y en avoir di• • Que consigne faite pour mettre ce «Jui 1Jêne ... alors Xavier y en avoir don~né soulie rs... • . Rien à foire pour faire compre ndre à notre Yolof Qu'en Fronce . les -souliers ne sont pas bagages inutila: mois bien oortie es– .sentielle du vê tement... Et le voyage continuo. Trains, ocres, merve illes de tous genres, Xavier e n avait la t ête farcie lorsqu'il déborQuo un beau matin Là, Xavier devint en moins d'une journée l'inséparable ami des fermiers et de leurs garçons. Du matin au soir on le voyait errer à travers prés e t champs toujours en Quête d'informations ou, h élos ! d'inventions nouvelles. C'est que Xavier trouvait fort inté ressant de transporter, en pleine vallée du Rhône, les mé thodes yolofs, penbles et t ou– coule urs. Un matin, oya nt entendu dire que be a u coup d'œufs se pe rdaient parce que les poules pondaie nt un peu partout, Xavier, sérieux comme un v ieux professeur, déclqra à Io fermiè re : c Moi y en a connaître manière avoir œ ufs toujours e t jamais !')erdus... .. Et le lendemain, toutes les poules étaient sur leur n id, bien rot\gées, ' aoes, si- Il tonne, il vente, il grêle ... Lo mer sé e se dé~ène, et bave, et hurle à Io mort. DQns cette effroya ble nuit d'oura gan, vinot hommes, tossés dons les huniers ou pendus en g rappes dons les haubans d'un louqre en per– d ition, a ttendent... Ils a ttendent Io mort ou Io vie... l'effondre– ment du bateau moµ rant qui les enseve;iro avec lui dgns les trots bouilfonnonts.. ou b ien, peut· ê t re, le boteeu de vie qui viendra de la côte a vant qu'il soit trop tard. Ils ont lutté, de toutes leurs forces unies, tant qu'ils ont pu, galvanisé s par Io côte pro– che... Ma is déjà Io voilure en lambeaux n'obé is– sait plus... et le gouvernail, soudain, s'immobi– lisa dans un grincement a ffreux, irrémédiable– ment tordu par une de ces lames gigantesques auxquelles rien ne résiste... Alors, ils ont com– p ris, tous. Désormais impuissants, livrés à mer– c i à l'Océon mouvais, chassés du pont rendu in tenable por les lames qui le boloie nt a vec une violence inouïe, ils se sont réfugiés dons la mâ ture, pour durer un peu plus longtemps.. toute leur esp.§ron ce maintenant résu mée dans Io pe– t ite barque blanche Qui hante leur esprit .. - On viendra de la côte ... - Le canot de sauvetage !..;. 1ls ne nous o~andonneront pas... Tous les yeux, anxieusement, scrutent la mer sinistre... et dons les brusQues sile nces qu i, par intervalles, entrecoupent l'a ffreux concert, ils lance nt de nouveau leur appel, long, puissant, t ragique ... Souda in, là-bos, loin, troua nt k1 nuit , un~. deux, dix petites lumières s'a llument , courent, d ispara issen t , revie nnent , se croise n t. .. qu elque port sur la côte des êtres viva nts ont 'entendu.. le secours s'organise... on va venir... tà -hout dans les grappes humaines tra g iquement pen– dues entre le ciel terrible et Io mer écumante, }kAN-F~:~QI~ : CHEF D"EQI!IPÊ On rie peut pos indéfiniment continuer à a t– tendre. Le grand a ir et la marche ont oiçiuisé les appétits, il faut diner. Et bientôt, sur l'herbe fraiche du ta lus, les c a rs dévorent à belles dents les provisions Qu'ils ava ient em– portées. Pendant ce temps !'Alpin iste o appelé Danie l un peu à l'éca rt : o Da niel, je vais te confier no:l explorateurs pendan t q Yclqucs hc u- 1es. Tu leur laisseras le cha mp libre pour une première expédition pa r équipes à tra vers le village, puis, à 9 heures, vous vous retruuverez taus à Io ferme du père Ma thieu qui nous avance, ce qui indique Que les gars, sentant la fatigue, ont du ralentir leur a llure... a Ohé ! ohé ! ôôôôh !... " De longs cris que repercute l'écho font sursauter Jean-Fronçais. Là -bas, ou· dessus du chemin, presque comolè temen t noir, des ombres viennent de se dresser... ce sont les garn de Maurice, tous les gars de la Saint-To r– cisius cjui accourent ve rs le chef d'équ ipe en parlant tous à la fois : a Ah ! Jcan-Fronc::ois, q uoi bonheur ! On a cru qu'on é ta it Derduo ! - Lo piste était brouillée... - Ça a été fait cxprèG, tu sois... -..:.. Si, si, on en est l'espérance soulève les cœurs... Leurs reÇ1ords ri· vés à ces pôles falots, les matelots suivent avec une terrible anxiété leur va-et-vient, en essayant de l'interpréter... 11 en vient de toutes parts.. On dirait qu'ils se rassemblent... Ils sont peut-être en canot?... redouble ses coups, secouant ses vogues écumon– tes comme une gigontesQue tignasse de furie... Mais comme un défi à cette colère, une lu· miêre, là-bas, s'est détachée des autres, som– brant soudain dons un ·a bime pour resurgir três haut, redisp ora itre, dériver un oeu, bondir à nouveau, en · une da nse ha llucinante... - Le canot est à la mer !!! Des haubans aux h u n iers, le mot vibrant d'espoir... Tous ces hommes, haletants, suivent la lutte tragique dont ils sont l'enjeu... Vingt fois on dirait que tout est perdu... Des secondes s'additionnent , int erminables, dura nt lesquelles tout o disparu dans le noir a ffreux-... l'angoisse commence à reprendre les cœurs... mais le message a rrive soudain, lancé du petit bateau dans un porte -vo ix p uissant - Holà !... Courage, les gars ! nous orri· vans !... Le frêle petit canot blanc o va;ncu Io te m– pête... il est là, tout p rès, le p lus près qu'il peut... Mois il ne saurait accoster... e t les vinQt mètres Qui le sépa ren t encore du c Jean -Ma rie » sont un gouffre hurlant et tourbillonnant... - La ligne, sans doute ?... murmurent les hommes anxieux. La ligne 1 ... C'est Je suprême recours, ce bout de filin qu'on a ttachera solidement et le Jonq duquel, tour à tour, on se laissera g lisser jus– qu 'à l'eau écuma nte et, p lus loin, en nageant, jusqu'au canot sauvete ur Là-bas, dons le ·frêle ba tea u a ffreuse- ment ma lmené, les sa uveteurs attendent une se– conde de répit .. et souda in le cordage pa rt, s'al– longe, accourt en siffla nt... : le soJut pour les malheureux perdus entre cie l et mer, s'ils p a r– viennent à le saisir !... prête sa grange pour coucher. Quant à mol, je repa rs tout de suite. sur le chemin qu'aura ient du suivre la Saint-Tarcisius e t la Guynemer, il faut a bsolument que je les retrouve. n Quel· ques secondes plus tord, deux silhouettes iné– gales s'éloigna ien t su r le sen t ier. Pour l'a ider à retrouver les manquants, !'Alpin iste avait· de– mandé de l'a ide e t Jean-François, tout de su ite, s'était présenté. Les pistes repérées sur la carte secrète du raJlye, n os deux o mis s'en vont d'un bon pas à Io découverte du mystère. Jus – qu'ici, rien d'anormal... sur Jes a rbres, les bor- sûrs... Tiens, regarde... Et sous les yeux de Jea n-François qui feint d'être incrédule, Mau– rice Pla ix brandit une feui lle de cahier à demi– froissée sur laquelle s'étale ce t te simple phra– se : a A vouloir courir après le bonhe ur, on se ca sse quelquefois~ le nez. ,, Devant l'écriture qu'ils ont reconnue ou p remier coup d'œ il, les gars restent quelques instants consternés. Ainsi c'est Io bande à Raou l qui a fait le coup ; encore et toujours ce tte fameuse bonde... Jean- François e t !'Alpiniste s'en doutaient un peu, mais ils a uraient voulu se tromper. Helos ! comment le prendra ient-ils ou vol, quand ils doivent déjà se c ra mponner, les deux moins crispées, après u n câble ou un bout de charpente ?... : Io ligne est retombée, aussitôt happée par la mer a vide... Mois déjà Je treuil Io lui a rroche... Attention, tes gars !... on Io renvo ie ... De Io barque de salut, deux moins frater– nelles Io relancent à ces hommes qui l'épient , haletants.. , Mois un cri de dét resse répond : elle s'est accrochée à un des câbles du louiire, ou ros du pont, lo in des pauvres moins Qui se t ende nt , désespérément... C'est Je salut, ce bout de filin... et voilà qu'ils ne peuvent le sa isir... Il faudrait des– cendre... se laisser glisser dans le vide, ou ris– que d'être enlevé par Io bourrosQu e ou en– glouti dons l'eau glauque... Penchés, ils me– surent du regard l'impossible parcours, Qua nd d 'épouvante ja illit de poitr.ines à la fois : Yves, le jeune mousse, tente la d2scente... Les de n ts serrées, calme comme ~'il s'a gissa it d'une monœuvre ordinaire, il va , lent ement, une mo:n oprès l'autre, passant d'une verçiue à un ::>0ut de cord e qui pend, au-dessus de la mer Puis il continue sa marche donçiereuse vers Io ligne de salut ... Il la t ient enfin... il va l'a· marrer... Dons cinq minutes il se ra à bord du canot ... Mois quoi ??? Tous les hommes, là -haut, se penchent en– core un -peu plus... lentement , a vec des gestes calmes et sOrs, l'enfant remon te, comme il est descendu, moin après ma in ... Seulement il ramène entre ses den ts le cor· doge sauveur... • Une heure plus tord , l'équ ipage ou comole t trinque a vec ses sauveteurs autour d'un grog bouillant... - C'est égol - déclore le • patron • en donnant une tape a m icale sur l'é paule de son jeune mousse - on lui doit une belle chon· delle à c' moucheron-Io ... Mois . lui, simple ment, ré plique en rian t : - J' pouvais tout d' même pa s vous la isser là-hout ! Plus é mus qu'ils ne veulent le montrer, le; vieux loups de mer - qui s'y connaissent en coura ge - rega rdent l'enfant ovec une nuance d 'affection attendrie qui en dit long... Ce ne sont pas des fa iseurs de d iscours, ces rudes ma– rins de l'Océa n... Mois Ma rcie ux s'est levé... Ma rcieux qui se permit h ier de railler le mousse pour ses convic tions chrét iennes et son J.M.C. fièrement a rboré. li pose son gros doigt sur l'insiçine brillant chandail de l'enfant : écumante q ui bala ie sons cesse le pont à moi- 11i~ii!!!ji~['~:~~~3;:~~~~~ tié submergé... De là-hout, le cœ ur serré d'une indicible an– goisse, l'équipage entier suit tous ses mouve– men ts... et t ant de vaillance a rrache Io sympa":' thie de tous... - S'il est sauvé, il ne l'aura pos volé, le brave gosse !... murmure le vieux t imonier en– tre ses dents. Un dernier ba lancement dons le vide.. , un dern ier élan ... il est en b as, enfin !... 11 a tteint le pont... il va saisir Io ligne... - Bonne chance ! lui crie-t -on de là -haut. Et à ce lu i qui va , peut -être , en réchapper, on confie un messoqe... une suprême recom- manda t ion... - Si j' n (en reviens pas, tu diras chez nous que... M a is lui, les yeux brilla n ts, les interrom pt : - Courage, donc, les gars !... -nes, les murs, les signes de piste sont intacts. Ah ! voilà Qui commence à devenir suspect : un signe, là , à ga uche, a été effacé et là... Jean– FranÇ:ois qui examinait soi9neusement Je sol pousse un cri de joie : là , l'équipe a dû revenir sur ses pas, hésiter, chercher son chem in... le carrefour est sil lonné d'empreintes nombreuses, petites, irrégulières. Pas d 'e rre ur possible, c 'est l'équipe de Maurice Qui est passée par là e t qui, ne trouvant plus sa piste, a du s'engager ou hasard sur le chemin fleuri qui s'en va tout doucement à travers les champs : Ecoute, Cha ssant la pé nible impression qui l'étre int, le chef d'équipe secoue les garçons qui, los d'errer à l'aventure, cassaient Io croûte sur le ta lus. Je suis fameusement con– tent de vou s a voir retrouvés... Allez, hop e·n rout e !... on a ura b ien du mal d' arriver a u ca nt on ne me nt a vant Io nuit noire... On vo chanter quelq ue chose pnur se remettre. e n train, hein r D Et sous les futaies déjà sombres, mon– tent, légères et sonores, les notes a llèqrcs du Chant de Io Route... Si se.ilement Io bm1de à Raoul pouvait entendre, ello aussi, le joyeux r rt•.s b'OUJ'lf, pro/ondémtnl lu:m·eux•.. vois pas... Mais aujourd'hui j'ai compris : j' sais c ' que ça veut d ire, t a c roix... Yves sourit... heureux, profondément... Et plus d'un regard, ce jour-là , a ffleure la croix qui brille sur son cœur, étrangement expliquée pa r son dé vouement de Io nuit.. F. KANMEME. LA PISTE BROUILLEE ~ Jean-Fronçais, la chose me parait claire. Tu vas suivre cc chemin et sans doute retrouver Maurice e t son équipe. Tu les fera s manger et tu les ramèneras e nsuite ou cant onnement le plus vite possible . J e voie, moi, essa ye r de re – trouver la Guynemer à travers le bois. Cc sera sons doute plus difficile. Mc vouo inquiétef pas si nous tardons à venir, nous vous rejoindrons coû te que coûte... u D'un pos rapide, Jeon– Fronçois s'est e ngagé sur le chemrn. Les em– preintes sont toujours là , de plus e n plus pro– fondément marquées ou fur et à mesure qu'on a ppel Qui mène au bonheur ! Héla s, leur cœur est fermé et leur âme sans joie ; qui pourra les tirer de là ? Pensif, Jean-François laisse son regard errer sur la nuit claire. Soudain, il tres– saille violemment : deux silhouettes •viennent de se découper très noires sur l'horizon, deux sil· houettes dont Io vue bouleverse tout à coup le che f d 'équipe... <A suivre.} Jean BERNARD. ..

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